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ROBERT LOZÉ

Le petit Pilier est un rocher de quelques pieds de diamètre s’élevant en arête et suffisant à peine à soutenir un phare.

Entre les deux rochers la distance est très peu considérable. Le gardien a sa résidence au pied du phare du grand pilier. Il doit desservir les deux lumières. Et ce fut là pendant longtemps, une des plus grandes inquiétudes du brave gardien Babin. Être obligé de s’aventurer en chaloupe par tous les temps dans cet espèce d’étranglement où, à certaines heures la mer se précipite comme dans un biez ouvert, cela ne lui plaisait guère à lui, encore moins à sa femme qui, plusieurs fois, l’avait vu en danger de périr. À cela, il n’y avait qu’un remède, installer un assistant dans le phare inférieur. Malheureusement, Babin ne le trouvait pas, cet assistant. La vie au petit Pilier était si peu gaie que même une somme assez ronde n’y aurait pas attiré un gardien.

Un jour, Babin était à Québec. C’était au printemps. Il faisait ses emplettes et se préparait pour sa longue retraite annuelle. Passant près d’une maisonnette, à Saint-Sauveur, il entendit un gémissement. La porte était entr’ouverte. Il entra et vit un homme d’une cinquantaine d’années qui se berçait et qui pleurait ou plutôt qui sanglotait à la façon d’un enfant.

— Qu’avez-vous à pleurer, mon ami ? lui demanda Babin.

— C’est maman qui est morte, répondit l’homme.

Babin s’étonnait de cette réponse singulière venant d’un homme de cet âge, lorsqu’une voisine entra et lui expliqua que le pauvre garçon était de faible intelligence et qu’il avait passé sa vie à aider à sa mère qui avait été blanchisseuse. Madame Tranquille était morte, il y avait quelques jours et le pauvre Célestin se trouvait sans protection et sans ressources.

— Célestin Tranquille ! pensa Babin. Mais c’est un nom prédestiné. Le voilà tout trouvé le gardien de mon petit Pilier.