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Robert Lozé

l’aristocratie intellectuelle et financière de villes nées d’hier, plus florissantes que bien des vieilles capitales. Ces noms, reste unique, à la surface du moins, qui rappelait les origines, étaient quelque peu altérés. Bayard se prononçait Bayarde, Berthelet, Berthlett. C’est ainsi que les fils des pionniers d’antan, qui, dans ces régions éloignées, ont dû laisser quelque chose « aux ronces du chemin, » rentrent dans l’héritage conquis par leurs pères, ainsi les générations qui savent repousser la désespérance, renaissent agrandies et tournent vers nous des regards fraternels. Signes encourageants et qui font comprendre que les démarcations politiques ne limitent pas toujours la patrie.

Tandis que Jean, à la tête d’une exploitation chaque jour plus considérable, amassait par un travail éminemment utile, une belle fortune. Robert, à Montréal, vivait de chicane, se figurant son frère toujours simple manœuvre, se croyant encore lui-même le grand homme de la famille. C’est que l’avocat ne s’intéressait guère à son frère, ne lui écrivait pas et correspondait peu avec sa famille. Jean, d’autre part, très attaché aux siens, aimant sa mère avec passion, parlait peu, dans ses fréquentes lettres, de ses travaux et de ses espérances. Il craignait de n’être pas compris, et redoutait peut-être d’avoir un jour à faire l’aveu d’un insuccès toujours possible. La fortune vaincue, il avait encore évité de faire connaître à sa mère toute l’étendue de son triomphe, lui réservant une joyeuse surprise. En pensant à cette tendre mère, il redevenait enfant. Le peu qu’il lui en avait dit était sous le sceau du secret, que cette bonne mère avait scrupuleusement respecté.

Le temps approchait, en effet, où Jean allait pouvoir réaliser son projet le plus cher, celui d’établir une exploitation au sein de la forêt canadienne, et dans cette partie de son pays à laquelle se rattachaient les souvenirs de son enfance. Le capital n’est d’aucun pays, et les co-action-