Vous me connaissez depuis quelque temps, et vous m’avez toujours vu d’un extérieur assez calme. Et cependant, si vous pouviez lire dans mon âme, je vous ferais peur. Vous y trouveriez presque de la désespérance. Depuis six ans que je lutte avec acharnement, que je me refuse au repos, que je cherche à m’affirmer, je ne suis guère plus avancé qu’au premier jour. Oh ! Je vis de mon métier. Mais quelle vie et quel métier ! Voir de loin le succès insaisissable, quel supplice !…
Irène, chose bien plus terrible, j’ai vu de près le bonheur et il me faut y renoncer. À d’autres plus puissants et mieux protégés, la célébrité et la fortune, la confiance publique, les charges et les honneurs. À moi le désespoir de ne pouvoir placer ces trésors aux pieds de celle que j’aime ; à moi le déshonneur de la médiocrité.
Robert s’était animé en résumant ainsi sa vie d’impuissance. Il devenait éloquent devant la jeune fille dont la sympathie évidente lui était bien douce.
— J’ai eu tort, je le vois bien, dit-elle ; mes inquiétudes semblent en effet peu de chose à côté de vrais soucis. Croyez-moi, je commence enfin à comprendre les vôtres, je respecte le sentiment qui les fait naître et je voudrais pouvoir les alléger.
— Vous êtes trop bonne et trop compatissante, s’écria Robert. Vous me redonnez presque de l’espoir, à moi qui n’en avais plus. Dites-moi, Irène, si je revenais un jour plus heureux, plus prospère, que trouveriez-vous à me dire ?
La noble jeune fille le regarda franchement et lui tendit la main.
— Ce que je vous dis maintenant. Vous me connaissez bien mal si vous pensez que je compterais jamais la fortune de celui qui aurait su gagner mon cœur.
— Irène ! Irène ! Est-ce à moi que vous dites cela ?
Ils se regardèrent et dans la lumière incertaine du soir