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Page:Bouchette - Robert Lozé, 1903.djvu/77

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ROBERT LOZÉ

seule issue, nous nous y sommes engagés et nous sommes tombés dans un piège.

Et nous qui entendrons cette défense, comprendrons-nous enfin qui a érigé ces barrières, qui a tendu ces pièges ? Pourrons-nous alors, comme nous le faisons trop souvent aujourd’hui, nous détourner de nos victimes, en répondant au cri de notre conscience : Suis-je le gardien de mon frère ?

Ce fut Irène qui dénoua la situation. Témoin inaperçu de cette scène, elle avait bientôt compris ce dont il s’agissait. L’arrivée inattendue de Jean dans une situation évidemment brillante lui avait causé une surprise égale à celle de la famille. Mais ce qui lui avait vraiment déchiré le cœur, c’était l’altération profonde des traits et de toute la personne de Robert. Son affection lui fit comprendre ce qu’il devait souffrir. Elle savait, ce que les autres ignoraient, que cette souffrance était en partie l’œuvre de son père. Tout en rendant justice à ses motifs, que celui-ci lui avait expliqués, elle trouva l’épreuve trop cruelle. S’approchant de son fiancé, elle lui serra furtivement la main, et, le regardant avec une expression inoubliable de tendresse, elle lui dit à voix basse :

— Du courage, Robert. Tu sais que je t’aime. Va donner la main à ton frère.

Le jeune homme, sous ce regard, sentit son courage renaître, et recouvra sa présence d’esprit. En cet instant, il comprit enfin tout le prix du cœur d’Irène. Pour la première fois, il sentit combien lui-même aussi il l’aimait. Sans quitter cette chère main qui faisait sa force, il entraîna la jeune fille avec lui et dit d’une voix chaleureuse :

— Jean, tu ne me reconnais pas. Je suis Robert.

Jean lui serra la main, et avec un franc sourire.

— Alice, dit-il, se tournant vers sa femme, voici Robert dont je t’ai souvent parlé.