Page:Bouchor - Les Symboles, nouvelle série.djvu/26

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de beaucoup. Le Bien et le Beau restent donc choses non seulement distinctes, mais entre lesquelles il n’y a pas de corrélation nécessaire, au moins dans les limites de notre expérience. Cela n’empêche pas que l’un et l’autre soient, avec le Vrai, les fins supérieures de l’homme.

Une de ces trois choses si fréquemment associées doit-elle avoir la suprématie sur les doux autres ? Oui, a répondu le philosophe dont je parlais tout à l’heure, et c’est la Vérité. (Il entend la vérité abstraite, sans application, du moins immédiate, à la conduite de notre vie.) Pourquoi cela ? Parce qu’elle est vraie. Voilà l’opinion d’un philosophe ou d’un savant. Par une argumentation aussi simple, un artiste pourra mettre au-dessus de tout la Beauté, parce qu’elle est belle. J’oserai exprimer une autre opinion, fondée sur le caractère obligatoire du Bien. Hormis le cas de certains devoirs créés par une rare aptitude, aucun homme n’est tenu de poursuivre ni la beauté dans l’art, ni la vérité abstraite[1]. Au contraire, la loi morale s’impose à tous avec le caractère d’une obligation absolue ; et cela suffit pour qu’elle soit l’essentiel de la vie humaine. Telle est, du moins, ma foi inébranlable.

  1. Si la recherche de la vérité s’impose à chacun de nous, dans la mesure très variable de nos forces, c’est uniquement, me semble-t-il, en tant qu’elle peut nous éclairer sur l’existence, la nature et l’accomplissement de nos devoirs. L’extrême inaptitude à tout effort intellectuel n’exclut pas, chez un grand nombre de personnes, une vie morale qui peut être intense.