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Page:Bouchor - Les Symboles, première série.djvu/64

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L’inaltérable ciel réfléchi dans le fleuve…
Que je me sentis faible en face de l’épreuve !
Quand nous eûmes longtemps erré par les chemins,
Je dus, pour labourer la terre avec mes mains,
Disputer aux oiseaux quelques chétives graines.
Ah ! plus de lits de fleurs et plus de nuits sereines !
Nous ne connaissions plus l’hymne du rossignol.
Quand j’avais arraché les épines du sol,
Sous notre toit battu par d’affreuses tempêtes
Nous écoutions, le soir, les hurlements des bêtes,
Et, tristes, nous mangions des fruits amers… Mais Dieu,
Prenant pitié de nous, me fit maître du feu.
Je ne me sentis plus faible ni solitaire,
Quand j’eus forgé le soc qui déchire la terre ;
Et combien je bénis, après mes durs travaux,
La première moisson qui tomba sous ma faux !
C’est l’œuvre de mes mains que chaque jour tu manges,
Femme ; aussi je me sens presque l’égal des anges,
Et j’ai reçu des biens qu’ils peuvent envier.
Comme les rejetons d’un vivace olivier
Je vois croître mes fils, que tes mains maternelles
Suspendent tous les deux à tes douces mamelles.
J’en bénis le Seigneur, chaque soir, à genoux ;
Et rien n’attristerait le cœur de ton époux
Si j’oubliais que Dieu, dans son âpre justice,
Veut qu’un lourd châtiment sur toi s’appesantisse.