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Page:Boudier - A Monseigneur le Garde des sceaux, 1726.djvu/10

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à leurs Confreres ; enfin que c’eſt ſous la protection des Loix du Royaume, & de leurs Statuts, que chacun d’eux jouit tranquillement de la proprieté des Ouvrages qu’il acquiert ; de maniere qu’ils ſont à leur égard comme un fonds de terre, qui étant bien cultivé, leur procure, à la faveur de leur travail, leurs beſoins & ceux de leur famille, dont ces ſortes de poſſeſſions ſont le ſeul patrimoine.

Cela ſuppoſé comme certain, peut-on douter un moment, que ſi on donne la moindre atteinte à cet uſage fondé ſur le Droit Commun du Royaume, ou aux Statuts qui ſervent de Loy à cette Communauté, en rendant contre leur diſposition préciſe les Textes des Livres communs après l’expiration des Privileges, on ôte toute ſûreté de ſon Commerce ? Alors la barriere qui ſervoit à contenir les Libraires entre eux étant rompuë ; attentifs à l’expiration de chaque Privilege, ils ne manqueront pas d’imprimer à l’envi les uns des autres les meilleurs Livres, dont leurs Confreres auront acheté les Manuſcrits bien cher, qu’ils auront imprimé à grands frais, dont ils auront couru les riſques, & enfin dont la premiere Édition n’aura pas été ſuffiſante à beaucoup près pour remplacer le prix du Manuſcrit & la dépenſe de l’impreſſion, & par conſequent ils les ruineront & ſe ruineront eux-mêmes, parce que le nombre des exemplaires de chaque eſpece de Livre ſe multipliant à l’infini en cauſera la chûte, & les fera tomber totalement ; avec d’autant plus de raiſon, que pour diminuer la dépenſe on ne les imprimeroit qu’en mauvais caractere, ſur de méchant papier, & avec précipitation, pour être en état de les donner plus promptement.

Dans cette ſituation, que deviendroit les Magaſins des Libraires, qui leur tiennent lieu de ſommes conſidérables, & qui ſont toute la fortune de leurs familles ? Ils ne ſeroient plus que d’inutiles amas de papiers qu’il faudroit bruler, ou mettre à la rame, ce qui les réduiroit à la plus extrême indigence ; ainſi la Librairie ſe trouveroit par conſéquent détruite à Paris, & en même tems celle des Provinces, qui tire de grands avantages de ſa correſpondance avec les Libraires de Paris.

Voilà que ſeroit le ſort de la Librairie en France, & celui des Libraires de Paris, que nos Rois ont toûjours honoré d’une protection particuliere, comme faiſant partie de la plus celebre Univerſité du monde, à qui ils ont accordé de ſi beau Privileges, qu’ils ont toûjours diſtinguez de tous les autres Arts, & ſingulierement Louis XII. par ſes Lettres Patentes du mois d’Avril 1513, qui les exemptent des droits d’Octroy, d’Aydes, & Gabelles, &c. en reconnoiſſance de la découverte de l’Art précieux de l’Imprimerie, qu’ils ont procuré à la France, & à la faveur duquel, comme le déclare ce Prince, la Religion Catholique a été conſidérablement augmentée dans ce Royaume, la Juſtice mieux adminiſtrée, & le Service divin célébré avec plus de dignité & de majeſté.

C’eſt cependant cette même Communauté, à qui la France a de ſi grandes obligations, que les Libraires de Province veulent détruire, dans l’eſperance de ſe revêtir des dépouilles de leurs Confreres ſous le ſpécieux prétexte du Bien Public, qui, comme nous venons de le faire voir, ſouffriroit un dommage conſidérable par la chûte du plus important des Arts. Ainſi l’interêt de ce même Public étant tout-à-fait oppoſé