Page:Boudin - La Fameuse Comédienne, 1688, édition Bonnassies, 1870.djvu/52

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faire enfermer ; ce sera mesme un moyen asseuré de vous mettre l’esprit en repos. »

Moliere, qui avoit escouté son amy avec assez de tranquillité, l’interrompit pour luy demander s’il n’avoit jamais esté amoureux.

« Ouy, luy respondit Chapelle, je l’ay esté comme un homme de bon sens doit l’estre, mais je ne me serois pas fait une si grande peine pour une chose que mon honneur m’auroit conseillé de faire, et je rougis pour vous de vous trouver si incertain.

— Je vois bien que vous n’avez encore rien aimé, luy respondit Moliere, et vous avez pris la figure de l’amour pour l’amour mesme. Je ne vous rapporteray point une infinité d’exemples qui vous feroient connoistre la puissance de cette passion ; je vous feray seulement un récit fidelle de mon embarras, pour vous faire comprendre combien on est peu maistre de soy, quand elle a une fois pris sur nous l’ascendant que le tempérament luy donne d’ordinaire. Pour vous respondre sur la connoissance parfaite que vous dites que j’ay du cœur de l’homme, par les portraits que j’en expose tous les jours au public, je demeureray d’accord que je me suis estudié autant que j’ay pu à connoistre leur foible ; mais si ma science m’a appris qu’on pouvoit fuir le péril, mon experience ne m’a que trop fait voir qu’il estoit impossible de l’eviter. J’en juge tous les jours par moy-