Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/117

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quatre mois et j’oserai penser à te revoir. Voilà l’idée qui me soutient dans tous les moments et qui donne à mon esprit la stabilité qui manque à mon vaisseau.


Ce 15, au Sénégal. — J’ai enfin vu ton bon ami M. Bonhomme, et, malgré toutes mes préventions contre tes protégés depuis le monstre Bernard, j’en ai été fort content. Tout ce qui m’est revenu de ses propos, de ses procédés et de sa conduite m’annonce un homme très prudent et fait pour réparer une partie des torts de son prédécesseur. Ne fût-ce qu’à cause de toi, je m’accorderai bien avec lui et je ne me montrerai difficile que sur le boire et le manger. Mais au moment où j’en parle, le voilà qui paraît ; il faut malgré moi que je quitte une bonne femme pour un Bonhomme.


Ce 16. — Tu n’imagines point, ma fille, tout ce que j’ai à dire, à faire, et qui pis est à écrire ; il faut des explications et des décisions sur tout. Les questionneurs les plus embarrassants ne sont point ceux qui n’entendent point, mais ceux qui ne veulent pas entendre ; il est vrai que, quand je me suis une fois bien assuré de la mauvaise volonté d’un de ces messieurs-là, je me fais un plaisir de le mettre dans tout son jour vis-à-vis des autres et de le battre avec toute la petite artillerie logique dont le ciel m’a doué. Malgré la pente naturelle des choses à mal tourner et celle des hommes à les faire tourner encore plus mal, j’ai lieu d’espérer que tout ira bien : quand la terre est bien préparée, quand le temps est bien pris pour semer, quand la graine est bien choisie, on est en droit d’attendre une bonne récolte, en dépit de la