Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/28

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mais jamais nous ne nous sommes écartés de notre route : c’est un bonheur d’autant plus grand que, chargés et encombrés comme nous le sommes, les plus petits contre-temps seraient devenus très dangereux, car le bâtiment tire six pouces d’eau de plus qu’il ne devrait pour être à son point ; mais la consommation journalière l’allège toutes les vingt-quatre heures d’environ trois milliers, en sorte que si la navigation durait encore un mois, nous serions à peu près bien. Je te parle de la mer, chère enfant, parce que j’espère que ton esprit, à l’exemple de l’esprit divin, se promène sur les eaux. Les détails maritimes ne doivent point être étrangers à la femme de deux marins. Adieu, mon enfant ; sois sûre que malgré ma maussaderie et mes ennuis et mes souffrances, je te regarde comme le remède à tous mes maux, la consolation dans toutes mes peines et le prix de tous mes travaux.


Ce 7. — Les souffrances de ton pauvre vieux mari augmentent au lieu de diminuer, chère épouse ; je crois que cela vient de ce qu’il s’éloigne de toi au lieu de s’en rapprocher. Je ne dors point ; j’ai une colique d’estomac perpétuelle ; à cela se joignent le rhume de cerveau, le rhume de poitrine et des maux d’entrailles : voilà les compagnons de voyage que je trouve avec moi sur l’étendue des mers. J’en suis au point de désirer quelque retard dans la navigation pour arriver moins malade, et pour ne point trouver dans ma faiblesse et mon découragement des obstacles de plus à l’exécution de mes projets ; car, après ma chère femme, je suis peut-être l’esprit le plus dépendant du corps qu’il y ait dans l’univers. Nous avons eu du calme ce matin. Le vent s’est élevé vers