Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/33

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qu’au moment de les éclaircir, et ce sera au plus tard après-demain matin. Ma santé va de mieux en mieux ; j’ai presque dormi la nuit dernière, et je vais tâcher de faire encore mieux. Je commence à craindre non pas pour ma vie, mais pour ma besogne, car j’en ai seul tous les fils dans la tête, et il faut qu’elle s’éclaircisse pour que je puisse les débrouiller. Il y a des moments où cette pauvre tête est comme un hôpital dans lequel toutes les idées languissent comme autant de malades, sans force et sans courage, et leur médecin, qui est la raison, souffre lui-même et ne fait pas son devoir. Tu sais cela mieux que personne, pauvre petite anéantie ; mais dans tes plus fâcheux instants, tu sais conserver la grâce comme le gladiateur mourant. J’espère au moins que les dernières circonstances t’auront rendu ton ancienne activité, et que tes maux se seront lassés de t’importuner, voyant que tu ne pouvais pas les écouter. J’attends bientôt des nouvelles de tout cela, et je désire bien que tu n’y mettes pas toutes ces réticences auxquelles ma sotte imagination n’a su suppléer. Adieu, ma femme ; je vais me coucher avec l’espoir de ne pas toujours me coucher aussi loin de toi. Adieu ; embrasse tes deux voisins encore plus tendrement qu’à l’ordinaire, et dis-leur que c’est de ma part. Adieu ; je te baise jusqu’au fond de l’âme.


Ce 14. — Nous allons voir le Sénégal dans moins d’une heure ; mais tous les marins disent que la mer est trop forte pour le passage que je voulais tenter. Cependant, si l’on m’envoie une pirogue, il me sera bien difficile de ne pas m’en servir, d’autant plus que d’ici à quinze jours je ne pourrai faire le voyage,