Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/7

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toutes parts. Au moral, c’est une nature vive et un peu crédule, franche et primesautière, aimante, dévouée, honnête, d’une honnêteté souriante et enjouée, comme la vertu devait être pour plaire en ce temps-là. Boufflers fut pris à ce mélange piquant de qualités et de grâces, d’autant que cette femme aux dehors frivoles était sérieuse et instruite et savait exprimer ses sentiments avec une délicatesse pleine de charme. Ils s’écrivirent et ils s’aimèrent : le cœur, pour une fois, avait été, sinon la dupe, au moins la conquête de l’esprit.

Les lettres qui ont été imprimées nous montrent parfaitement les voies et les étapes de cette passion. Mme de Sabran, mère irréprochable et veuve fidèle au souvenir, résiste de son mieux à un sentiment nouveau dont elle subit la force envahissante. Boufflers, au contraire, toujours joueur, toujours libertin — au moins d’imagination, — toujours ambitieux, regarde avec curiosité ce qui lui paraît, surtout au début, une intrigue destinée à tromper le vide de son existence, et ce qui devient bientôt pour lui un besoin impérieux et profond. Pourquoi, dans ce cas, puisqu’ils s’aimaient et qu’ils étaient libres de leurs destinées, Boufflers et Mme de Sabran ne les unirent-ils pas ouvertement ? C’est la question qui vient à l’esprit et on y a répondu diversement. Pour ma part, voici ce que je crois, sans prétendre me donner le ridicule d’être trop sûr de ces choses-là. Mme de Sabran était riche, elle portait un nom fort considéré ; Boufflers, au contraire, n’avait pour vivre que sa solde militaire et les revenus de ses abbayes lorraines. Tout cela lui permettait de vivre largement, en dépit de ses goûts dispendieux ; mais, en épousant Mme de Sabran, il aurait dû renoncer à ses bénéfices ecclésiastiques. C’est ce qui le fit rester chevalier de Malte non profès, c’est-à-dire sans avoir fait de vœux et ayant seulement les apparences extérieures de l’ordre. Dans ces conditions, un mariage secret était parfaitement possible aux yeux de l’Église, puisqu’aucun empêchement canonique ne l’interdisait, et je pense qu’il eut