Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/72

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nature se soit plu à rassembler loin de tout, tout ce qu’elle peut montrer de plus charmant, comme les grands seigneurs qui se plaisent à prodiguer les ornements dans les petites maisons au fond des quartiers les plus ignorés. Jamais personne de nous n’a vu de plus grands arbres, de plus belles verdures, des vallons plus riants, des enfoncements mieux dessinés. On navigue entre des montagnes à perte de vue et des plaines immenses dans une rivière d’argent qui semble être une ligne de démarcation entre les deux sols les plus différents. Adieu, je suis obligé de quitter le vaisseau pour aller dans un petit canot au fort français, qui est encore à trois lieues et que je ne puis gagner qu’à la rame, parce que le vent manque et que la marée nous devient contraire.


Ce 1er avril, dans la rivière de Serre-Lionne. — Je suis arrivé hier à dix heures du soir, j’ai pris le fort comme d’assaut et je me suis trouvé dedans au moment où l’on venait de se coucher. J’ai trouvé tout en meilleur état que partout ailleurs, toujours par la grâce d’une divinité à laquelle tu sais que j’ai une grande dévotion : c’est le hasard. Quand on aurait tout arrangé pour ruiner ce poste-ci, on ne s’y serait pas mieux pris ; on y avait établi dans le principe d’assez mauvais sujets, on avait mis à leur tête un enfant, qui ne savait presque d’autre langue que le bas-breton, qui n’était point encore sorti de la maison paternelle et qui n’avait jamais vu de troupe. Il se trouvait chargé du commandement, de l’administration, de la direction des travaux, de l’approvisionnement, des arrangements à prendre avec les naturels ; on l’avait jeté là sans secours, sans conseil, sans instruction, et après cela on avait été dix-