Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mence à voir qu’il y a dans le fond du cœur de l’homme un germe d’aversion pour tout ce qui n’est pas lui, qui le rend ennemi du bien général, parce qu’il trouve la part qui lui en revient toujours trop petite. Il est bien vrai que nous naissons méchants et avides et qu’il n’y a que la philosophie et l’habitude des bonnes réflexions et des bonnes actions qui nous épurent. Je crois aussi que l’amour et surtout l’amour bien partagé et bien content nous rend beaucoup meilleurs, car alors le cœur a tout ce qu’il lui faut et ne s’oppose plus à la satisfaction des autres. Qu’en penses-tu ? J’espère que le temps viendra où nous démontrerons cette proposition-là par des arguments tirés de notre propre fonds. En attendant, je ferai de mon mieux pour que tout ce dont je suis chargé prospère entre mes mains et que tu n’aies jamais à rougir de ton bon mari.


Ce 5. — Je ramène avec moi une petite négresse qui a l’air d’être la continuation de la belle Hourica[1] ; mais je ne sais par quelle fatalité, malgré toutes mes caresses, elle a l’air de ne pouvoir pas me souffrir. Je crains que ce ne soit un mauvais présage et que cela ne m’annonce que le temps d’être aimé est passé pour moi. J’espère cependant que cet arrêt-là ne s’étend pas jusqu’à toi ; tu n’es point comprise dans les choses que je dois à la fortune, je ne te dois qu’à toi et tu ne t’es point réservée le droit de te retirer.


  1. Celle-ci avait été amenée en France par Boufflers à la suite de son premier voyage et donnée par lui à la princesse de Beauvau. C’est l’histoire de cette jeune négresse qui a fait l’objet du récit bien connu de Mme  de Duras.