Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/83

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Ce 22. — Que te dirai-je ? Tout est toujours de même et le diable est plus que jamais le maître du monde ; il faut convenir que le bon Dieu a pris là un méchant premier ministre. Mais je voudrais savoir pourquoi ce méchant diable en veut tant à un pauvre diable comme moi. Me prend-il pour un saint ? Hélas ! il m’en faudrait la patience. Je crois les consolations pieuses beaucoup plus douces que les consolations philosophiques ; celles-ci ne vous montrent que le malheur général, que l’instabilité de la fortune et vous engagent à souffrir parce qu’il n’y a point de bonheur durable à espérer ; les autres, au contraire, vous peignent le mal du moment comme une épreuve salutaire, comme un sacrifice léger dont il faut payer des biens infinis, elles vous montrent toujours une main toute-puissante qui craint encore de s’appesantir sur vous et qui même en vous frappant verse du baume sur vos plaies. Aussi quand nous serons mari et femme, je crois que je finirai par me convertir et te convertir aussi, afin d’aller ensemble en paradis.


Ce 23. — Nous continuons à lutter contre la volonté expresse du ciel qui s’oppose à notre retour. Nous allons et nous venons de l’est à l’ouest sans pouvoir nous élever au nord où il faut que nous fassions environ cent lieues, et il y a des journées qui, toute réduction faite, ne nous donnent pas une demi-lieue en bonne route. En attendant, les provisions s’épuisent et nous arriverons plus maigres que nous ne sommes partis. Nos malades ne vont pas mieux, mais au moins ils ne meurent pas, et, si le vent ennemi voulait changer, nous serions sûrs de les tirer d’affaires. Attendons, espérons, et s’il y a quelque