Page:Boufflers - Oeuvres - 1852.djvu/133

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dieux que tu le parais aux mortels. Mais pourquoi cet air pensif, sombre, inquiet ? qu’as-tu, ma fille ? — Rien, ma mère ; tous les jours ne sont pas sereins. — La douce confiance les éclaircirait. — Encore une fois, je n’ai rien. — Lorsqu’on sent quelque ennui secret, on dit toujours qu’on n’a rien. — Il me semble encore plus naturel de le dire quand on n’a rien. — Je crois cependant voir… — Les dieux mêmes, avec qui tu te vantes d’avoir un commerce si étroit, ne sauraient voir ce qui n’est pas. — Non, mais ils voient ce qu’on leur cache ; et moi, malheureuse, tout mon pouvoir se borne à connaître que tu te caches de moi. Clarté funeste ! l’aveuglement vaudrait mieux. — Que je te plains de tes soupçons, ma mère, et par où les ai-je mérités ? j’en appelle à ta justice. — La justice, ma fille ! elle est pour les indifférents ; mais entre une mère et une fille… — Il me semble pourtant, dit Pravir, qu’elle vaudrait encore mieux que l’injustice. — Ma fille, ma fille, tu accuses ta mère ; tu prends plaisir à confondre son esprit déjà troublé par le chagrin. — Non, ma mère, tant de pouvoir ne m’appartient pas. — Je retrouverai donc toujours dans ma fille cette humeur aussi difficile à plier que l’arc du géant de la guerre ? — Eh bien ! ma mère, si l’entreprise est au-dessus de tes forces, pourquoi la tenter ? — Je l’aurais pu quand ma Pravir, l’enfant de mon amour, ne s’élevait pas encore au-dessus des fleurs destinées à parer nos temples. Mais une folle tendresse m’arrêtait. Faible mère ! je craignais de troubler le fleuve de ton bonheur à sa source, je pensais que tu te formerais à la perfection à mesure que tu avancerais dans le champ de la vie, comme le palmier se redresse en croissant ; j’espérais que le maître des douces affections, le tendre Kama, t’apprendrait à payer d’amour l’amour de ta mère… mais, au lieu de