Page:Boufflers - Oeuvres - 1852.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
BOUFFLERS.

à des organes à peine développés ; où de nouveaux rapports nous lient aux êtres qui nous environnent ; où des sens plus attentifs, où une imagination plus ardente nous fait trouver de plus vrais plaisirs dans de plus douces illusions ; j’avais quinze ans, en un mot, et j’étais loin de mon gouverneur, sur un grand cheval anglais, à la queue de vingt chiens courants qui chassaient un vieux sanglier : jugez si j’étais heureux ! Au bout de quatre heures, les chiens tombèrent en défaut et moi aussi. Je perdis la chasse. Après avoir longtemps couru à toute bride, mon cheval était hors d’haleine ; je descendis. Nous nous roulâmes tous deux sur l’herbe ; ensuite il se mit à brouter, et moi à déjeuner.

Je déjeunais avec du pain et une perdrix froide, dans un vallon riant, formé par deux coteaux couronnés d’arbres verts : une échappée de vue offrait à mes yeux un hameau bâti sur la pente d’une colline éloignée, dont une vaste plaine, couverte de riches moissons et d’agréables vergers, me séparait.

L’air était pur et le ciel serein, la terre encore brillante des perles de la rosée ; et le soleil, à peine au tiers de sa course, ne lançait encore que des feux tempérés, qu’un doux zéphyr modérait par son haleine.

Où sont-ils ces amateurs de la nature qui savent si bien jouir d’un beau temps et d’un joli paysage ? C’est pour eux que je parle ; car, pour moi, j’étais alors moins occupé de cet objet que d’une paysanne en corset et en cotillon blanc, que je voyais venir de loin avec un pot au lait sur la tête. Je la vis, avec un secret plaisir, passer sur une planche qui servait de pont au ruisseau, et suivre un sentier qui devait conduire ses pas auprès de l’endroit où j’étais assis. En approchant, elle me parut d’une grande fraîcheur ; et, sans rien concevoir de ce qui se