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ALINE.

Je n’ai aimé que vous ; et, quoiqu’il soit aisé d’être plus fidèle que moi, il serait impossible d’être plus constante : votre idée, toujours présente à mon esprit dans les infidélités que je vous faisais, en empoisonnait presque toujours le plaisir. J’avouerai cependant qu’elle leur prêtait de temps en temps des charmes.

J’eus une véritable joie de retrouver ma chère Aline ; nous nous embrassâmes avec les mêmes transports que dans ces temps heureux où nos lèvres n’avaient point encore rencontré d’autres lèvres, et où nos cœurs répondaient aux premières invitations de la volupté : nous arrivâmes chez elle ; j’y restai à souper ; et, comme M. de Castelmont était absent, je survécus à toute la compagnie, et j’usai de mes droits. L’amour fuit les alcôves dorées et les lits superbes ; il aime à voltiger sur l’émail des prairies et à l’ombre des vertes forêts. Mon bonheur se borna donc à passer la nuit entre les bras d’une jolie femme ; mais elle ne s’appelait et n’était plus Aline.

Amants qui voulez connaître l’amour, ou seulement la volupté, n’allez point en bonne fortune avec des lettres du ministre dans votre poche qui vous forcent à partir pour l’armée. C’est dans ces circonstances que je vis madame de Castelmont, et j’y perdis beaucoup. Jusqu’à quand la trompeuse voix de la gloire rendra-t-elle odieux le doux repos et les tendres plaisirs ? jusqu’à quand préférera-t-on la gloire à l’amour ? Je ne faisais point encore ces sages réflexions : quand on est brigadier comme je l’étais, on pense bien plus à devenir maréchal de camp que philosophe ; et, malgré toute la sévérité des ministres, on en est ordinairement plus près. J’entrai donc dans ma chaise en sortant de chez madame de Castelmont, et je volai avec plaisir à de nouveaux ennuis.