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LA CASTE ET LA RÉVOLUTION BOUDDHIQUE

Qu’est-ce à dire, sinon que cette espèce de neurasthénie politique, cette incapacité de réagir et de réformer tient précisément à la philosophie diffuse dans l’air hindou, et dont le bouddhisme s’était laissé imprégner ? On l’a souvent répété : la pensée hindoue ne se repose que dans l’absolu. Sous la méditation de ses philosophes, les divinités qu’elle a conçues se rapprochent, se transforment les unes en les autres, finalement se dissolvent dans l’Être unique, comme les nuées mouvantes après leurs métamorphoses indéfinies retournent à l’Océan. De ce point de vue tout ce qui change et passe, tout ce qui vit et meurt apparaît comme indigne qu’on s’y attache.

Le mouvement n’est qu’un autre nom du mal. L’âtman individuel doit se réfugier et se perdre au sein de l’âtman universel et immobile qui, seul, est à l’abri de la douleur du monde : « En dehors de lui, dit la philosophie Vedânta, il n’y a qu’affliction. » La philosophie Sânkhya veut de même que l’âme ait la force de s’immobiliser, de se retirer sur les bords du fleuve, de se tenir en dehors du devenir matériel étant : « Je ne suis pas cela. » La même antithèse entre l’Être et le Devenir fera le fond du pessimisme bouddhiste. Et, à vrai dire, la doctrine, manifestant au milieu même du courant d’idées traditionnel ce que l’on peut appeler sa tendance positiviste et pratique, ne s’attardera plus à considérer en soi, à nommer, à diviniser l’Être absolu : il lui suffit, pour prononcer le verdict de l’universel détachement, de constater la mobilité universelle.

Le Bouddha n’est pas seulement un homme qui pleure sur la vieillesse, la maladie et la mort : c’est encore et surtout un philosophe qui n’a que dédain pour ce qui n’est qu’éternellement éphémère[1]. Quand pénètrent dans

  1. V. Burnouf, loc, cit., p. 74, 328.