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LA VITALITÉ DU RÉGIME

migration étaie le régime des castes ; si le pessimisme radical atrophiait au cœur des hommes « l’instinct de la révolte », ce fatalisme en extirpe jusqu’au sentiment que le présent peut être injuste. Les conséquences de cette espèce de stérilisation, nul ne les a mieux déduites que M. Pillon[1] : « En faussant la notion de l’immortalité, la loi de la transmigration fausse en même temps celle du mérite et du démérite, de la peine et de la récompense. Plus de distinction entre le fait et le droit, entre le réel et l’idéal, entre la fatalité physique et l’ordre moral. Le mal physique est considéré non seulement comme la conséquence nécessaire, mais comme l’expression certaine, le signe infaillible du mal moral, si bien que les deux idées, ne pouvant se séparer, finissent par n’en plus faire qu’une seule. À la suite de cette proposition : Tout démérite entraîne nécessairement une douleur, s’est glissée celle-ci : Toute douleur entraîne nécessairement un démérite, un péché, et nécessairement une peine, une expiation. Dès lors toute réalité est avouée par la conscience, tout fait devient l’expression de la justice et veut être respecté à ce titre, tout malheur, toute souffrance, sans qu’on sache comment ni pourquoi, est méritée par celui qui l’endure. Le brahmanisme est conduit à cette monstruosité de réputer légitime une expiation qui n’est pas accompagnée de la connaissance, de la mémoire du démérite expié ! Voilà la conscience devenue la complice de toutes les fatalités naturelles et sociales ; elle n’accusera plus rien, ne protestera contre rien, ne se révoltera contre rien. La loi de la transmigration consacre, immobilise, éternise l’inégalité des conditions, la division de la société en castes[2] ».

Quoi d’étonnant dès lors que la réforme bouddhiste, s’accommodant de la transmigration, se soit adaptée

  1. Année philosophique, 1868.
  2. Cf.R. Fick, Sociale Gliederin, p. 216.