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ESSENCE ET RÉALITÉ DU RÉGIME DES CASTES

peut bien y avoir esprit de corps ; mais les corps ne sont pas des castes. En fait, par son mode de recrutement, le clergé servait indirectement des idées contraires à celles sur lesquelles le régime des castes s’appuie ; une Église qui pouvait transformer des esclaves en pontifes, et élever le fils d’un pâtre au-dessus des rois, opérait ainsi des espèces de rédemptions sociales qui, plus encore que ses dogmes, étaient des leçons d’égalité[1].

De même, une grande distance sépare le régime féodal du régime des castes proprement dit. Et d’abord, dans la mesure où le régime féodal obéit à ce principe, que « la condition de la terre emporte celle de l’homme », il contrarie le principe du régime des castes. Car il cesse alors de déterminer la situation des personnes par leur naissance, il introduit des bouleversements dans la hiérarchie héréditaire. Du jour au lendemain, par cela seul qu’une conquête ou un contrat le rend maître d’une terre, un homme peut se trouver élevé d’un degré sur l’échelle sociale. Ajoutons que lorsqu’un même homme est possesseur de plusieurs fiefs, sa situation devient ambiguë ; vassal des uns, suzerain des autres, son rang social cessera d’être nettement défini. Un pareil système n’aboutit pas à une hiérarchie stricte.

D’un autre côté, « l’émiettement féodal » n’empêchait-il pas les individus de s’agglomérer pour former des castes ? Chaque seigneur vit sur ses terres et gouverne pour son propre compte un certain nombre d’hommes qui ne dépendent que de lui ; la féodalité n’est donc pas constituée par une superposition de collectivités, mais bien plutôt par une « collection de despotismes individuels[2] ». En ce sens, on a pu soutenir sans paradoxe que, comme l’Église fut, par certaines de ses tendances, une école d’égalité, la féodalité fut une école d’indépendance. Son organisation se prêtait

  1. Cf. Fustel de Coulanges, l’Alleu et le Domaine rural, p. 299.
  2. C’est l’expression de Guizot dans son étude sur le Régime féodal.