Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/290

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admirerons en même temps, une fois de plus, l'art avec lequel le brahmanisme sait canaliser et détourner à son profit les forces mêmes qu'il ne crée pas.

La littérature épique apparaît presque partout comme la compagne et la servante des noblesses guerrières. Dans l'intervalle des razzias elles se font chanter, pour charmer leurs loisirs, les prouesses glorieuses. Une famille puissante a-t-elle réussi à imposer sa domination ? Les bardes exalteront les hauts faits de ses ancêtres. Et ainsi, en même temps que le goût des aventures, la poésie épique entretiendra le respect des races supérieures. Elle sera une « technique de la domination et de l'orgueil » en même temps qu'un amuse­ment féodal 549.

Les préoccupations de cet ordre ne manquèrent pas sans doute à l'origine de l'épopée hindoue. Ici aussi, c'est par la chanson de gestes, répétée au foyer des maisons princières, que l'on dut commencer. Le récit qui met aux prises les fils de Pandu et les fils de Kuru garde comme un reflet des conflits de races et des luttes de clans dont l'Inde primitive fut le théâtre. Quelque remaniement que les premiers chants aient dû subir pour entrer dans le corps du grand Mahâbhârata, on y sent passer, en effet, le souffle rude d'une société belliqueuse, ardente au jeu comme à la guerre. On y voit des duels qui n'en finissent pas – prototypes lointains du duel d'Olivier et de Roland – et des batailles rangées qui mêlent des armées immenses « comme la mer et comme le Gange », des tournois qui rassemblent les tireurs à l'arc de toutes les contrées de l'Inde, et des scènes de jeu où les adversaires jouent finalement leur royaume, et jusqu'à leur femme. La grandeur épique a besoin, dit-on parfois, de quelque chose de démesuré dans l'action comme dans la passion ; il y faut n arrière-fond de violences, et comme un reste de sauvagerie héroï­que. Sur plus d'un point, cette espèce d'héroïsme