Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/292

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

restent toujours ceux qui risquent de porter atteinte à sa vie ou à sa dignité, et d'ébranler le régime des castes. Pas plus qu'on ne voit le jus se distinguer nettement du fas, on ne sent ici une franche laïcisation des préoccu­pations morales. Les devoirs religieux continuent de tout primer. Et ils consistent essentiellement à respecter la hiérarchie consacrée, dont le Brahmane est le gardien en même temps que le bénéficiaire.

On dira peut-être que si la religion recouvre l'épopée de son manteau, ce n'est pas du moins la pure religion tissée par le brahmanisme : des fils de toutes sortes et de toutes provenances se mêlent dans sa trame. Il est vrai. Et l'épopée porte assurément la marque de l'activité des sectes. Les vieilles divinités védiques passent à l'arrière-plan. C'est Vishnu, c'est Krishna qui occupent le devant de la scène. Mais ces changements n'ont rien qui doive nous surprendre. Ils ne sont pas la preuve que le brahmanisme ait renoncé à ses ambitions : mais qu'au contraire il continue à les servir, comme il l'a tou­jours fait, par la tolérance. Innovations des sectes ou traditions des races abori­gènes, le Brahmane trouve moyen de tout admettre, et de tout s'assimiler 553. C'est précisément dans la littérature épique que nous le voyons utiliser la théorie si commode des Avatâras. Il lui est facile de retrouver grâce à cette théorie, sous les dieux étrangers, les dieux familiers, sous les dieux nouveaux, les dieux anciens. Ainsi les Brahmanes peuvent-ils tenir plusieurs publics à la fois et, par un langage heureusement équivoque, parler à des foules de plus en plus nombreuses.

Si l'on veut juger de leur art d'utiliser, pour élargir le cercle de leur action, les forces nées en dehors, il faut se rappeler de quelle manière se sont cons­truits les