Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/295

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développent librement au contact des incidents et de la vie : ce sont des types toujours semblables, placés dans des conditions à peu près identiques. » Dans la fixité de ces caractères conventionnels, il faut voir sans doute la preuve que les auteurs étaient moins préoccupés d'observer la réalité que d'obéir à une tradition. Nous avons déjà rappelé pourquoi, issue d'un noyau religieux, la littérature hindoue est essentiellement didactique. La pratique y est presque partout précédée par la théorie. L'art dramatique est, lui aussi, dominé par une poétique traditionnelle, fondée elle-même sur l'autorité d'un dieu et d'un saint, Bharata, maître des Apsaras. Le théâtre indien, nous dit-on 558, offre le spectacle, unique peut-être, d'une théorie acceptée sans con­testation et mise en œuvre avec un respect servile pendant une durée de quinze siècles. L'idéal des auteurs semble se réduire à nous présenter, en quelque situation définie d'avance, et conformément aux lois quasi sacrées des genres, les divers types classiques. Le traditionalisme foncier des Hindous expli­querait donc la physionomie conventionnelle de leur théâtre.

Il reste que la réalité elle-même, comme cloisonnée par les castes, laisse voir plutôt les qualités spécifiques que la variété des individus. L'individu ici « s'efface et disparaît dans l'espèce : le type triomphe de la variété » 559. Dis-moi quelle est ta caste et je te dirai ta tournure d'esprit, tes habitudes, tes tendan­ces. Un régime pareil est capable de déterminer avec les fonctions les genres de vie, avec les genres de vie les caractères. Il est naturel que sous cette pression les hommes se distinguent moins, sur la scène comme dans la vie, par leur tempérament personnel que par leur statut social.

Veut-on d'ailleurs une preuve quasi matérielle du soin pieux que le théâtre apporte à sauvegarder les distinctions