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ESSENCE ET RÉALITÉ DU RÉGIME DES CASTES

dans les castes actuelles, les descendantes des quatre castes traditionnelles ; les Brahmanes qui ont le monopole de la prière et du sacrifice ; les Kshatriyas, guerriers-nés, les Vaiçyas, destinés au commerce, les Çûdras, faits pour servir les autres.

La caste des Brahmanes, telle qu’on la rencontre aujourd’hui, est celle qui correspond le mieux au type décrit par les codes : encore faudra-t-il noter bien des différences. Non seulement les Brahmanes exercent des professions beaucoup plus nombreuses que ne le voudrait la loi brahmanique, mais encore et surtout, bien loin de constituer une seule caste comme on le croirait d’après les livres sacrés, ils sont divisés en une foule de castes fermées les unes aux autres[1]. S’il s’agit des autres castes, le manque de coïncidence entre la théorie et les faits est encore plus frappant. Ce sont les Râdjpouts qui prétendent descendre des Kshatriyas ; mais d’abord, outre que, pour beaucoup d’entre eux, ces prétentions sont évidemment mensongères[2], eux aussi forment une multitude de familles plutôt qu’une caste[3]. Les occupations assignées par la tradition aux Vaiçyas n’apparaissent pas réservées à une seule caste, mais divisées entre des castes très diverses[4].

  1. Senart, p. 28. Dans les seules provinces du N. W., Nesfield distingue jusqu’à quarante castes de brahmanes. Brief View of the Caste system, p. 49,115. Les 1 050 000 Brahmanes de la province de Bombay sont divisés, selon M. Enthoven, en plus de 200 groupes, entre lesquels les mariages sont interdits. (Census of India, 1901, IX, p. 178).
  2. Lyall (Études sur les mœurs religieuses et sociales de l’Extrême-Orient, Trad. fr. Paris, Thorin, 1885, p. 217 sqq) montre comment se « fabriquent » les Râdjpouts, par la brahmanisation de chefs aborigènes. Crooke (Tribes and Castes of the N. W, Provinces), cite p. xxii, un certain nombre de « septs » radjpoutes dont les noms trahissent une origine aborigène. Ibbetson (Punjab Ethnogr., p. 421) va jusqu’à dire, tant il croit peu à la pureté du sang des prétendus descendants des Kshatriyas : « Le terme de Radjpout est à mon sens une expression plutôt professionnelle qu’ethnographique. »
  3. On se rappelle la répugnance que les différents clans radjpoutes éprouvent à manger ensemble. Voy. plus haut p. 21.
  4. Cf. Schröder, Indiens Literatur und Cultur. Leipzig, Haessel, 1887, p. 419. Jolly, Z. der Deutsch. Morg. Gesell., Bd. 50, p. 614, prouve par les