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LES RACINES DU RÉGIME DES CASTES

Les groupes qui ont monopolisé les modes d’activité les plus compliqués jouissent aussi de la plus grande considération. Moins un métier est « primitif », plus celui qui l’exerce est respecté. Chaque famille de castes correspond à l’un des stades du progrès par lequel l’humanité augmente sa puissance sur les choses, et une caste est d’autant plus estimée que les procédés qu’elle emploie ont été découverts plus tard. On peut donc soutenir que les degrés de la hiérarchie hindoue répondent, d’une manière générale, aux phases de l’évolution industrielle. « L’histoire naturelle de l’industrie humaine donne la clef de la gradation, comme celle de la formation des castes »[1] ; des phénomènes économiques expliquent leur superposition comme leur spécialisation.

L’observation de l’Inde apporterait donc une confirmation inattendue aux philosophies de l’histoire à tendance « matérialiste » : en présentant la caste comme une institution naturelle[2] et séculière[3] dérivée de la ghilde, on aurait du même coup démontré que, dans la civilisation qui semble le plus profondément imprégnée de religion, c’est encore l’industrie qui façonne à son gré la forme sociale dominante.


À cette thèse on songera à opposer d’abord un certain nombre de faits. Pour que l’assimilation des castes aux ghildes fût exacte, ne faudrait-il pas qu’à toute distinction professionnelle correspondît une distinction de caste, et qu’il n’y eût pas d’autres distinctions de caste que des distinctions professionnelles ?

Or, n’avons-nous pas vu que les membres d’une même caste exercent parfois des professions très différentes[4] ? D’autre part, s’il est vrai que l’adoption d’une profession

  1. Ibid., p. 80.
  2. Dahlmann, p. 46, 72.
  3. Nesfield, p. 95.
  4. Voy. plus haut, p. 18.