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LES RACINES DU RÉGIME DES CASTES

dent à telle ou telle caste dépend donc principalement de leurs idées sur ce qui est sacré, permis ou défendu, auguste ou horrible.

Les préséances sociales sont déterminées moins par l’utilité ou la difficulté des métiers exercés, que par leur pureté ou leur impureté relatives. L’ouvrage de M. Nesfield, si précieux qu’il soit, ne nous découvre donc pas les lois universelles qui président à la gradation des professions : il nous fait plutôt comprendre qu’il n’y a pas, pour cette gradation, de critère unique. Chaque civilisation a sa façon préférée de classer les métiers ; et c’est sans doute la façon dont elle les classe qui exprime le mieux ses tendances intimes. Dans la civilisation hindoue, ce sont surtout des vues religieuses, plutôt que des tendances économiques, qui fixent son rang à chaque groupe.


L’insuffisance de l’explication économique nous serait d’ailleurs rendue plus sensible encore si nous envisagions le troisième aspect du régime des castes tel que nous l’avons défini. Cette répulsion qui isole les groupes et les empêche de s’allier par des mariages, de manger ensemble, et parfois de se toucher se déduit-elle des nécessités de l’industrie ? Quand même celles-ci expliqueraient pourquoi le père doit transmettre son métier à son fils, elles n’expliqueraient nullement pourquoi le mari ne doit pas prendre femme en dehors de sa caste. Qu’importe, pour la tradition professionnelle, la femme dont il aura un fils ? L’origine étrangère de la mère n’empêchera pas celui-ci d’être son fils et de continuer la profession. Désespérant d’expliquer par son système les règles endogamiques, M. Nesfield semble en arriver à les considérer comme une invention des Brahmanes[1]. N’est-ce pas réintégrer, par un détour, cela même que la théorie de la caste-ghilde avait voulu

  1. op. cit., p. 100 sqq.