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L’OPPOSITION DES CASTES ET LA FAMILLE

commensalité et la fraternité. Les prescriptions de la caste touchant les repas peuvent être puisées au fonds commun des idées primitives ; elles ne prouvent nullement l’existence d’un fonds spécialement aryen.

Les prescriptions concernant le mariage seraient-elles plus significatives ? Dirons-nous par exemple que seules les tribus de race aryenne pratiquaient cette endogamie qui maintient encore aujourd’hui les castes séparées, tandis que, chez la plupart des autres races, l’exogamie prédomine ?

Et en effet c’est surtout, semble-t-il, de règles et de pratiques exogamiques que nous parlent les observateurs des sociétés primitives. Mais il importe ici de ne pas se laisser duper par l’antithèse. On aurait tort de classer les peuples en « exogamiques » et « endogamiques ». En fait, l’exogamie se montre à nous presque toujours accompagnée d’une endogamie corrélative. C’est-à-dire que les règles concernant le mariage, en même temps qu’elles tracent un cercle étroit à l’intérieur duquel l’homme ne doit pas prendre femme, tracent un cercle plus large à l’intérieur duquel il peut prendre femme. M. Durkheim, discutant les théories courantes sur l’origine de l’exogamie[1] fait remarquer que « l’exogamie ne consiste pas à prendre une

  1. Année sociologique, I, p. 31. Mac Lennan reconnaît que l’exogamie se pratique le plus souvent à l’intérieur de la tribu. Toutefois — en raison de sa théorie — il considère cette exogamie intérieure comme une forme ultérieure et dérivée. Frazer note que les tribus australiennes dont les membres peuvent se marier avec les membres de n’importe quel autre clan semblent une exception. Le plus souvent les tribus sont divisées en phratries exogamiques. Ainsi les Tlinkits sont divisés en phratrie du Corbeau et en phratrie du Loup. Les membres de la phratrie du Corbeau doivent épouser ceux de la phratrie du Loup et réciproquement (Le Totémisme, p. 88,93). J.-W. Powell (Sociology or the Science of Institutions, p. 703-4) remarque que les faits mieux connus depuis Mac Lennan ne permettent plus de maintenir la distinction que celui-ci proposait : « Il n’y a pas de peuple, tribal ou national, qui n’ait son incest groupe ; tous les peuples sont endogames en même temps qu’exogames. » C’est donc à tort que l’on suppose que l’endogamie ne s’établit définitivement que là où règne l’inégalité des groupes.