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L’OPPOSITION DES CASTES ET LA FAMILLE

La thèse ne serait défendable que si l’on prouvait d’une part que telle forme de l’organisation familiale est seule capable d’engendrer la caste, et qu’en même temps cette forme ne se rencontre que chez les races aryennes. Dira-t-on, par exemple, que la forme patriarcale, avec le culte des ancêtres, est par excellence la forme aryenne ? et que les peuples aryens n’ont pas connu la forme matriarcale qui se rencontre si souvent, unie au totémisme, chez les peuples sémitiques[1] ? Mais d’abord, il serait possible de trouver chez des peuples de race aryenne des traces de matriarcat. Ensuite on ne voit pas en quoi le fait d’avoir traversé la phase de l’organisation matriarcale devrait empêcher un peuple d’aboutir au régime des castes. Pour que ce régime se constitue, il faut la survivance et la prédominance de ce sentiment de parenté qui est le ciment des groupes primitifs. Mais que ces groupes aient été originellement composés de familles où les enfants appartenaient au père, ou de familles où les enfants portaient le nom de la mère, c’est ce qui importe peu.

Nous en dirions autant du totémisme. M. Senart relève, dans le monde hindou, des traces de totémisme qui « détonnent »[2]. Est-ce à dire qu’un peuple chez lequel le totémisme aurait régné n’aurait pu se constituer en groupes endogames comme les castes ? Il est constant au contraire que des peuples fidèles au totémisme, comme certaines tribus australiennes, s’ils pratiquent l’exogamie du clan,

  1. Cf. R. Smith, Kinship and Marriage in Early Arabia, Cambridge, 1884.
  2. Que les pratiques totémiques soient très nombreuses chez les tribus anaryennes, c’est ce qui a été abondamment prouvé (Cf. Crooke, The Popular Religion and Folklore of Northern India. Westminster, Gonstable, 1896, II, chap. iii. Mais on a pu retrouver des traces de ces pratiques jusque chez des castes hindoues assez élevées, par exemple chez les Pallivahs du Radjpoutana (Jogendranàth Bhattacharya, Castes and sects, p. 69), ou chez les Humkars d’Orissa. Cf. Risley, Tribes and Castes of Bengal, p. xlv, sqq. Lange, Mythes, Cultes et Religions (trad. fr.), p. 75-76. Bien plus, Oldenberg a pu montrer l’origine totémique de plusieurs noms de Gotras brahmaniques (La Religion du Véda (trad. fr.), p. 71). Le totémisme ne serait donc pas aussi étranger à l’hindouisme que M. Senart paraît le croire.