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LA HIÉRARCHIE DES CASTES ET LE SACERDOCE

manes : c’est le soin qu’ils prennent de s’abstenir des aliments prohibés, de fuir les personnes ou les choses qui contaminent : d’une façon plus générale, c’est le souci de pureté qui remplit toute leur existence. Plus une caste s’applique à respecter les lois qui sauvegardent la pureté et plus aussi elle est estimée. Il est donc naturel que la plus estimée de toutes soit celle qui s’est fait comme une spécialité du respect rigoureux de ces lois. « Les Brahmanes étant ceux qui s’appliquent le plus à conserver la pureté intérieure et extérieure, c’est, dit l’abbé Dubois[1], à l’observation scrupuleuse de ces usages qu’ils doivent l’éclat de leur illustre caste. » Ne consacrent-ils pas toute leur vie à la réalisation pleine et entière d’un idéal que chaque caste s’efforce, avec plus ou moins de succès, de réaliser partiellement ? Il n’est donc pas étonnant qu’aux yeux de la multitude hindoue, descendants d’une race qui s’est si scrupuleusement surveillée pendant tant de siècles, ils représentent et incarnent en quelque sorte l’idéal[2].


Toutefois, si l’on veut apercevoir la raison la plus décisive du prestige de leur sang, il faut faire entrer en ligne de compte la nature de la fonction qui leur est réservée. La classe guerrière prétend, elle aussi, être de race aryenne ; elle aussi veille avec un soin jaloux sur sa pureté. Si elle a dû s’effacer pourtant devant la classe sacerdotale, c’est

  1. Observations sur les mœurs des Hindous, p. 14. Voy. dans le même livre le récit détaillé des précautions que les Brahmanes s’obligent à prendre pour ne pas se souiller et des opérations journalières par lesquelles ils se purifient. Cf. Vidal de la Blache, Le Peuple de l’Inde d’après la série des recensements, dans les Annales de géographie, 15 nov. 1906, p. 437 : « Ce n’est pas sur la pureté de la race, comme on le dit souvent, c’est sur l’orthodoxie rituelle que se fonde l’idée de supériorité sociale. »
  2. C’est ce que manifeste le zèle avec lequel on imite les Brahmanes. Dans l’espoir de s’élever d’un degré sur l’échelle de la pureté, on voit de basses castes adopter et respecter scrupuleusement tel usage « lancé » par les Brahmanes. C’est ainsi que se seraient répandues, de caste en caste, l’habitude des mariages précoces, et l’interdiction du remariage des veuves. Cf. Jolly, Recht u. Sitte, p. 75. V. plus bas, p. 126.