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tuple, en puissance véritable. La philosophie politique nous a dès longtemps habitués à escompter ces sortes de compensations. Spinoza, par exemple, nous rappelle après Hobbes, que si les individus pour former une société sont obligés de rétrécir leur liberté, ils retirent du moins, de leur association même, des avantages qui élargissent singulièrement leur vie. Peut-être en est-il de même dans l’ordre biologique. « Plus il y a d’unité dans l’organisation de l’État cellulaire, dit M. Verworn[1], plus le fonctionnement de l’ensemble tend à la perfection, et plus sont grands aussi les avantages que les cellules retirent de la vie en commun. »

Mais comment mesurer objectivement ces avantages ? Sans doute à ce que la vie des éléments est moins précaire, plus assurée, — ce que nous constaterons en prouvant qu’elle est plus longue. Mais précisément il serait très difficile d’en faire la preuve. On a pu soutenir au contraire que la différenciation des éléments, condition de l’organisation du tout, hâtait leur disparition, et littéralement les condamnait à mort. « Toute cellule non différenciée, dit M. Delage[2], est immortelle, et ne demande pour continuer à vivre que d’être placée dans des conditions qui le lui permettent : toute cellule différenciée est vouée à une mort inévitable sans qu’il y ait pour elle aucune possibilité d’y échapper. »

En effet, comment les cellules échappent-elles à la mort ? En se divisant à l’infini. Or on constate que, quelle qu’en soit la raison dernière, toute cellule qui se différencie met par cela même une limite à sa faculté de division. Au contraire, les cellules qui restent indifférenciées sont grosses de divisions indéfinies. On ne rencontre donc chez elles ni vieillards, ni cadavres : elles renaissent perpétuellement d’elles-mêmes. En ce sens Weismann a pu leur décerner l’immortalité véritable. Et sans doute tous les naturalistes ne sont pas

  1. Ibid., p. 637.
  2. Op. cit., p. 769.