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retourner en quelque sorte le darwinisme. Ce ne sont plus seulement des principes distincts du principe de la guerre universelle qu’on peut montrer à l’œuvre dans la nature : c’est le principe contraire. L’association, la coopération, la solidarité sous ses formes diverses, vont nous apparaître comme des forces motrices et directrices du progrès.

Au premier abord il semble qu’il soit difficile de leur faire place dans le monde darwinien, que les deux principes ne puissent coexister, que l’opération de la sélection exclût toute intervention de l’aide mutuelle. À quelle condition, en effet, la sélection naturelle sera-t-elle efficace ? À la condition, nous fait entendre Wallace[1], que la lutte soit individuelle et que chacun des lutteurs ne puisse compter que sur

    Les petits qui naîtront dans ces conditions de vie feront effort, à l’imitation de leurs parents, pour s’y accommoder ; par les habitudes transmises une sorte de milieu social se constituera à travers lequel ils s’adapteront au milieu naturel ; les variations utiles à ce genre de vie auront donc le temps de réapparaître, et comme elles assureront un avantage à qui les possédera, elles auront des chances de se fixer dans la race***.

    On comprend ainsi comment les habitudes acquises par les individus, capables de se transmettre de génération en génération, mais socialement plutôt que physiquement, par l’éducation plutôt que par l’hérédité, travaillent à incorporer à l’espèce certaines variations congénitales. Sans ces habitudes, ces variations auraient sans doute disparu. Il leur a fallu, pour se maintenir et se développer, la coopération des activités individuelles. En ce sens, on peut dire que nous nous retrouvons ici en présence d’une « auto-réglementation » et d’un « auto-perfectionnement ». Il apparaît que la destinée des individus et par suite de l’espèce, dépend, dans une certaine mesure, de ce qu’ils font pendant leur vie et non plus seulement de ce qu’ils sont dès leur naissance. Esse sequitur operari. On comprend dans ces conditions que lorsqu’elle progressera, l’intelligence, habile à développer la force qu’il faut à la place qu’il faut, puisse ici seconder et la rendre inutile l’œuvre de la lutte pour l’existence. La conscience sera capable de suppléer aux tâtonnements brutaux de la nature et de provoquer des transformations qui n’auront pas eu forcément des combats pour préludes. Elle servira de bouclier aux êtres, dit M. Baldwin****, contre les hasards de la sélection naturelle.

    * Op. cit., p. 40, 412.

    ** Baldwin, Osborn, Morgan, etc. V. le Development de Baldwin, avec les Appendices.

    *** Baldwin, op. cit., p. 37-47, 164-205. Headley, Problems, p. 154. Conn, Method, p. 305.

    **** Op. cit., p. 145.

  1. Cité par Coe, Nature, p. 77. Cf. l’opinion d’O. Schmidt, ibid.