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spiritualiste maintenait entre l’animal et nous. Pour rabattre notre orgueil il a repris à son compte la parole de l’Évangile : « Celui qui est abaissé sera relevé, celui qui est élevé sera rabaissé. » Il a montré par exemple que, bien loin que les animaux fussent de purs automates, les facultés mentales développées chez l’homme apparaissaient déjà, au moins sous une forme rudimentaire, chez certains d’entre eux, et qu’inversement, sous une forme rudimentaire, certains organes développés chez les animaux survivent encore chez l’homme. D’une manière plus générale, l’homme n’est-il pas construit sur le même plan que ses prédécesseurs ? C’est après les mêmes processus qu’il est né, et après les mêmes qu’il mourra[1]. C’est par la même sélection des variations favorables que sa race se perfectionne. La même loi de progrès lui impose donc la même nécessité de souffrance. Ce « dieu tombé » n’est en vérité qu’une brute qui monte, et il ne saurait se soustraire à la dure pression qui seule détermine l’ascension des brutes. Il est soumis, nous dit Darwin[2], « aux mêmes maux physiques que les autres animaux ; il n’a donc aucun droit à l’immunité contre ceux qui sont la conséquence de la lutte pour l’existence ».

Combien il était opportun de réagir ainsi contre le splendide isolement où le spiritualisme risquait de confiner l’humanité, personne ne le conteste aujourd’hui. C’est par le succès, c’est par les conquêtes de toutes sortes, scientifiques et pratiques, que ce mouvement enveloppant de l’évolutionnisme a prouvé sa légitimité ; et ces conquêtes ne sont encore que des points de départ. Toutefois, à quelles confusions aussi de pareilles « réintégrations » exposent, c’est ce qu’on peut dès maintenant pressentir. À voir les conséquences que quelques-uns en dégagent, il est permis de

  1. Darwin, Descendance, I, p. 9, 16, 51.
  2. Descend., I, p. 199.