Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/261

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depuis le milieu du xixe siècle, à mesure que les répercussions réelles du système se sont mieux fait sentir.

C’est ainsi qu’on a fait observer que les luttes entre producteurs, entre vendeurs, ou entre vendeurs et consommateurs étaient bien loin d’entraîner toujours et partout, comme la théorie le faisait prévoir, l’heureuse adaptation, aux moindres frais, des produits aux besoins. Une des conséquences naturelles de la concurrence aveugle que se font les grands possesseurs de machines n’est-elle pas la surproduction, avec les brusques avilissements qu’elle provoque et les crises périodiques qu’elle déchaîne ? Dans le même temps et sur d’autres points ne remarque-t-on pas des sous-productions aussi fâcheuses ? La quantité des objets de première nécessité ne reste-t-elle pas dans bien des cas inférieure aux besoins les plus urgents de la masse ? C’est qu’il faut distinguer, tant que la propriété reste privée, entre la « productivité » et la « rentabilité ». Les possesseurs de capitaux cherchent moins à réaliser le maximum d’utilité pour tous que le maximum de profits pour eux. Or il n’est pas vrai que ces deux maxima coïncident exactement. Étant donnée l’extrême inégalité de la répartition, le pouvoir d’achat du grand nombre reste faible ; il n’est donc pas étonnant que les entreprises capitalistes ne mettent pas en œuvre tout ce qu’il faudrait pour donner entière satisfaction aux besoins du grand nombre. Et ainsi, de par les vices de la répartition à laquelle le régime de la libre concurrence donne sa consécration, notre production pèche, ici, par défaut aussi bien que, là, par excès. Au lieu du progrès continu dans l’harmonie, ce sont des déperditions incessantes par « l’anarchie économique[1] ».

Dira-t-on que cette anarchie cesse lorsqu’un des concurrents triomphe de ses rivaux ou fait la paix avec eux, lorsque

  1. V. Andler, Origines du soc., p. 471 (Paris, F. Alcan). Cf. Landry, Propr. indiv., 1re partie, chap. I. Belot, art. cité, p. 208.