nombre des intermédiaires concurrents les incite à diverses formes de supercherie, ne sont-ce pas les moins scrupuleux qui apparaîtront ici comme les mieux doués ? De même, ne sont-ils pas les plus aptes à tirer parti de notre système économique, ceux qui en exploitent habilement le caractère anarchique, les spéculateurs, les brasseurs d’affaires, les « corbeaux » ? En vain s’acharne-t-on à nous démontrer que partout où il y a commerce, se développe aussi forcément un « altruisme professionnel » : le commerçant ne veut-il pas avant tout, nous dit-on, servir son prochain, et n’est-il pas amené à refréner beaucoup de ses impulsions en conséquence ? Mais raisonner ainsi, c’est confondre, remarque M. Gide, « la notion de service avec la notion de profit ». Sous notre régime actuel, l’échangiste idéal est celui qui cherche à réaliser le plus grand profit possible, à exploiter les situations. N’est-ce pas surtout des qualités de ruse que doit développer cette « chasse aux dollars » ? Et ne sait-on pas quel cortège de démoralisation la royauté de la finance traîne après elle[1] ?
D’une manière plus générale, l’extrême inégalité au milieu de laquelle se déploie la libre concurrence n’est-elle pas capable de provoquer, au haut et au bas de l’échelle, de fâcheuses détériorations des caractères ? Un critique de l’évolutionnisme a représenté avec force ces dangers réunis : « Scindant la société en deux moitiés dont l’une vit de revenus sans grand travail pendant que l’autre est vouée à des alternatives de surmenage et de chômage, elle (la concurrence actuelle) condamne les travailleurs à l’envie haineuse et dispose les jouisseurs à considérer la misère comme une loi inéluctable avec une froide insensibilité. Obligeant l’industrie à chercher des débouchés à tout prix, elle fait de la
- ↑ V. Gide, discutant Y. Guyot. Coopérat., p. 235 sqq. Cf. Wagner, op. cit., II, p. 812. Herkner, op. cit., p. 154, 65. Belot, art. cité. B. Malon. Le socialisme intégral, 2e partie, chap. V.