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QU’EST-CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

nous apparaît. En un mot, nous aurons vite fait de sentir, au contact des individus, l’unité de la ville ; cet ensemble de traits communs à ses habitants, qui la distingue des autres villes, nous pourrons l’étudier à part : ce sera déjà faire œuvre de sociologue.

Mais, aussi bien que les ressemblances qui les unissent, les différences qui séparent les Saint-Polais nous offriront des objets d’étude. Énumérons les passants que j’ai aperçus cette après-midi, avec les épithètes que je leur ai attribuées. Deux hommes en bras de chemise, les mains blanches de plâtre : des « ouvriers ». Puis un homme vêtu de bleu et de rouge, avec des boutons de cuivre et des gants blancs, l’air à la fois désœuvré et inquiet : je l’ai qualifié de « militaire ». Puis un « monsieur » avec un chapeau haut de forme : un « homme du monde ». Deux vieilles femmes, vêtues de noir, parlant bas et marchant sans bruit ; j’ai pensé : « quelques vieilles dévotes ». Puis une vision fugitive, un dos courbé, des roues : « bicycliste ». Enfin tout un vacarme de gens qui soufflent dans des choses en cuivre, une bannière en velours au milieu d’eux : « orphéon ». — Orphéonistes, bicyclistes, dévotes, hommes du monde, militaires, ouvriers, voilà donc, pêle-mêle, au milieu de la rue, les épithètes que j’ai décernées à mes concitoyens. Que signifient-elles ? Que je classe les individus en autant de sociétés. J’ai distingué mes passants les uns des autres en les assimilant à ceux avec lesquels des liens d’ailleurs bien différents les unissent, — communautés de travaux ou de manières, d’exercices ou de plaisirs, de pratiques ou de goûts. Ainsi me sont apparus quelques-uns des innombrables cercles qui s’entrecroisent dans le cercle, étroit pourtant, de Saint-Pol.