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LA SOCIOLOGIE POPULAIRE ET L’HISTOIRE

lisation, ils risquent d’assimiler, d’abstraire, de généraliser sans méthode, ou encore d’accepter toutes faites les idées déjà constituées par l’expérience commune. Qu’est-ce à dire sinon que, le plus souvent, la sociologie qui les inspire n’est que notre sociologie populaire ? Dans les aphorismes que nous avons extraits des histoires, n’avez-vous pas reconnu quelques-uns des siens ? C’est qu’elle se tient en effet derrière chacun de nous, prête à nous passer, au premier fait, ses instruments de connaissance habituels. Derrière l’historien, les idées générales, prêtes à lui dicter ses explications, sont comme les anges ou les génies que nous voyons cachés dans l’ombre, derrière les prophètes de Rembrandt ou de Michel-Ange. Sans elles, il ne pourrait écrire. Mais, comme il ne se détourne pas pour les regarder en face et leur demander d’où elles viennent, il risque d’écouter les idées vulgaires, filles du hasard, aussi bien que les idées scientifiques, filles de la méthode : sa science est à la merci du sens commun, son histoire à la remorque de la sociologie populaire.

La question qui se pose donc, pour ceux qui veulent promouvoir la science de l’humanité, n’est pas : « Devons-nous cultiver ou non la sociologie » ? puisqu’il est dès à présent démontré que nous ne pouvons nous en abstenir. Mais, « devons-nous le faire au hasard, inconsciemment — ou consciemment, méthodiquement, rationnellement » ?

Poser ainsi la question, c’est la résoudre. Il est trop clair qu’il faut enfin avoir le courage de ses généralisations, afin de se forcer à ne les constituer qu’avec prudence. Il est trop clair qu’il faut enfin peser, au trébuchet de la critique, la monnaie courante de l’expérience,