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L’HISTOIRE ET LA SCIENCE SOCIALE

Est-ce donc à dire que l’histoire proprement dite ne doive être autre chose qu’une notation de coïncidences ? Cournot est bien loin de le penser, qui fait observer que des annales, où l’on se serait borné à consigner tous les faits réputés merveilleux ou singuliers, — naissances de monstres et apparitions de comètes, inondations et épidémies, — ne mériteraient à aucun degré le nom d’histoire, précisément parce que les faits rapportés ne seraient en aucune manière liés les uns aux autres. Il est vrai qu’inversement, s’il s’agissait d’un registre où seraient relevés des phénomènes soumis à des lois régulières, — oppositions ou conjonctions de planètes, retours d’éclipsés ou de comètes périodiques, — on n’aurait pas non plus d’histoire. Il faut qu’il y ait une part faite au hasard et que tout ne soit pas livré au hasard. Il n’y a pas d’histoire, dans le vrai sens du mot, pour une suite d’événements qui seraient sans aucune liaison entre eux. Il n’y en a pas non plus « là où tous les événements dérivent nécessairement et régulièrement les uns des autres en vertu des lois constantes par lesquelles le système est régi. » La discipline de l’historien apparaît, en ce sens, comme un genre hybride, intermédiaire entre la déduction et la narration. Ce qui donne sa teinte propre à son œuvre, c’est précisément « un certain mélange de lois nécessaires et de faits accidentels[1] ».

Cette définition permet d’entrevoir la fonction que Cournot va assigner à ce qu’il appelle l’étiologie historique : séparer non seulement l’accidentel du nécessaire,

  1. Considérations, I, 6 ; Matérialisme, 229 ; Essai, II, 201 ; Traité, II, 310