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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/95

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L’HISTOIRE ET LA SCIENCE SOCIALE

de nos jours que les historiens les plus défiants à l’égard des tendances sociologiques sont les historiens de la politique, habitués qu’ils sont à compter avec des crises décisives, guerres ou révolutions, qui semblent orienter l’évolution des peuples en des sens inattendus. Cournot avait pris la précaution de dénoncer l’étroitesse des conceptions où font verser ces habitudes ; il avait indiqué que la vie politique, si ses manifestations sont les plus frappantes pour l’imagination, est peut-être aussi la plus superficielle, et qu’il importe autrement, pour s’expliquer les destinées des nations, de suivre d’une part les transformations de leur vie matérielle, la succession de leurs manières de produire, de vendre ou de consommer, d’autre part les transformations de leur vie intellectuelle, la série des découvertes dont les résultats, lorsqu’ils arrivent à l’organisation logique et à l’application industrielle, commandent de proche en proche tout le reste. Il avait ajouté qu’en tout cas il était de bonne méthode d’essayer de discerner, sous les « accidents révolutionnaires », les « lois des siècles », de montrer par quelles évolutions lentes les brusques catastrophes étaient préparées, d’escompter, en distinguant les cas, ce qu’en dehors même de ces catastrophes ces évolutions auraient pu spontanément accomplir[1].

La Révolution française est sans doute un des accidents les plus « colossaux » qu’ait eu à enregistrer l’histoire ; elle se laisse comparer aux cataclysmes naturels ; elle a déchaîné un mouvement général capable d’entraîner bon gré mal gré toutes les forces individuelles. A-t-elle fait autre chose, cependant, que porter

  1. Considérations, I, 12