Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/23

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aventure, quelle qu’elle fût, tragique, triste ou opportune, pourvu qu’elle m’entraînât en dehors de moimême, loin de cette maison et de cette cité. Parmi des gens qui ne s’occupent qu’à en médire, j’épiais la venue d’un héros certain. Mais aucun ne sut rayonner la froide stagnation de nos âmes.

Accablé d’ennui et de peine, je connus l’amertume du monde. Mon front se gonfla d’une marée mauvaise. Hélas ! vers ces jours de douleur, avec quelle frénésie, quelles larmes, quelle épouvante, j’ai pu ressentir l’infamie humaine ! Le visage même de mes amis offensait ma mélancolie. C’est qu’en présence de ces jeunes hommes, je distinguai, plus fortement, l’atroce muraille qui nous sépare les uns des autres. A moins d’appartenir à une race ressemblante, depuis les premiers jours du monde, nous vivrons toujours fort distants. De disparates hérédités, des nations, des plaintes, des exploits, l’éducation, les pas d’enfance, une infinité d’événements enfin, nous ont constitué l’âme que nous avons, et chaque souffle, une fleur et une lueur, perpétuellement et partout la varient. Comment pourrions-nous communier quand des étoiles mêmes s’interposent ! Oui, nous avons beau nous étreindre, entre un homme quelconque et moi-même, je pressens, j’entends, j’aperçois un mur fait de sang et de cendre antiques, une opacité de fantômes.

Cette élégiaque notion du monde contribua toujours à ma solitude. Assuré des puissantes barrières qui nous séparent les uns des autres, je tente, de moins en moins, de les franchir. Si tragiques que soient les péripéties dans lesquelles je me trouve surpris, et les