Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/44

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mimer quelque exploit prévu , la persuasion de mon orgueil les a contenus dans leur horizon. Ils aiment cette petite chaumière verte, le pâturage, la plage natale. Leur extraction, si basse qu’elle soit, ne leur paraîtra jamais vile et ils se contentent de leur humble état. Ils cherchent des extases dans la mort. Leur destin désormais les trouve dociles, et ils en acceptent les délires, toutes les turbulences et les maux, les douloureuses péripéties.

Cependant, s’ils possèdent, chacun, ces sentiments, les manières dont ils en tressaillent demeurent diverses. Je parlerai ici du plus étrange d’entre eux. Comme la plupart trouvent leur bonheur dans cette conception d’existence, Phocas n’en tire rien que d’affreuses tristesses, une mélancolie exténuante.

De noires passions l’ont corrompu. Avant de me connaître c’était un homme fort triste, hypocondre, embrasé des plus fiévreuses humeurs. La lecture de mes essais, au lieu d’apaiser ces vapeurs n’a fait que les augmenter. Le voilà plus confus, plus grave et incertain devant le monde. D’excessifs vertiges le saisissent. Il se sent défaillir dès qu’une fleur, une lumière, un passant le regardent. Sa mélancolie est extrême. La conscience qu’il a pris de son propre héroïsme et de sa responsabilité, cela l’épouvante, l’impressionne, le trouble : « Ah ! s’écrie-t-il parfois, l’atroce destin ! Pourquoi s’en aviser, et qu’avais-je besoin d’y prendre garde ? Il fallait vivre instinctivement. Si je pénètre au parc urbain ou dans une claire guinguette verdâtre et odorante, toute peuplée de profondes tonnelles, afin de boire du vin ou pour rompre