Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/46

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l’ivresse resplendissante ! — Les hommes qui marchent là, sans émoi, quelle joyeuse beauté ! comme je les admire ! Ils ne sentent point l’importance de leur sort, l’action qu’ils accomplissent les satisfait. Ils négligent de s’y attarder. Ils en perdent bientôt le souvenir et ils n’en prévoient point les conséquences. — Mais je sais, je sais trop vraiment ! — Rien de minime, ni de futile ! — L’énorme rotation sidérale scande, pétrit, détermine l’inflexion d’une roue de brouette. — Il n’est pas une fleur, une fine paille de pluie, une fugace conjecture, que je trouve méprisable. Tout m’occupe, m’éblouit et me terrifie, j’éprouve d’atroces vertiges à contempler l’azur, une pomme profonde. Je vais, ici et là, j’ai peur. J’ai la sensation d’être au bord d’un gouffre. »

« A errer par de puissantes routes, d’étroites ruellesluisanteset verdâtres, j’ai senti parfois segonfler mon cœur. Je vis dans l’idée de la mort. Tout m’attriste, me saisit, m’infuse son sang : l’azur, les forêts et la creuse rosée. Je ne puis rien considérer sans penser, que là, Dieu, songe, m’envisage. La pulsation des océans bondit dans mes veines, y charrie du sel, des soleils. Hélas ! je frémis et je rêve ! J’ai passé des jour» de silence. J’ai passé de longs jours languissants et pompeux, sans oser jeter un seul cri, par crainte d’en froisser le sujet, guirlande, coquille bleue ou hameau, sans distinction et quel qu’il fut. — Une stupeur pèse sur mon âme. Je n’ai parlé du monde qu’avec circonspection. J’en ai si bien surpris les graves et suaves secrets que je ne les redirai point, tant leur beauté m’a séduit. — O vertiges, sanglots ! allégresses ! Oui, mon souffle et mon pas, mes soupirs, mes tristesses, mon respect et ma joie, j’ai peur de