Page:Bouhélier - L’Hiver en méditation, 1896.djvu/50

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le tumulte étrange. Des sentiments qui tourmentèrent mon âme, personne ne s’est occupé. On me voulut placide, ce fut ainsi. L’obscure prévision que j’eus de mon être en a préparé l’infortune. Les vertus dont je m’embellis ne m’ont pas acquis l’attention des miens. D’ailleurs, de subites circonstances m’en éloignèrent tout à coup vers le temps que mon cœur commençait à frémir.

Je me souviens des plus puériles pensées. Dans la maison familiale, j’ai vécu avec amertume. — Je vois, près de la lampe, un soir : mon père avec sa face de fièvre, et ma mère, pensive, beauté et bonté. — L’habitude du silence accrut mon isolement, à quoi vint encore contribuer l’extrême ivresse de ma passion. Dès les plus anciens jours, je mejuge d’une cruelle tendresse, que refrènent le lieu et le monde. J’ai peur d’un brin de paille qui luit, une pluie épaisse bruit sur ces fleurs. Il y a un petit jardin, et l’étroite maison jaune flamboie au bord du fleuve. — Une servante cueille de puissantes pommes. — Parmi un bouquet d’héliotropes, le chien gardien bondit, j’écoute. Il aboie. Il court comme une flamme. — D’écarlates coqs tonnent dans les branches. Un ciel mince rayonne sur du sable, et des champs de roses dévorent l’aube d’été. La nuit tombe et il pleut. Le bois silencieux se recueille. Au milieu du fleuve verdoient les étoiles. Cette ombre éclatante m’étourdit.

Certains hivers me désignèrent de glauques déluges. — O la lune,, les paquebots, la mort ! — La rivière grossie submergeait l’îlot. Un ouragan pétrit de monstrueuses écumes. Le soleil sombrait dans une trombe