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Le Laboureur


 
À mon ami Eugène Crépet.


Ô laboureur de l’âme, ô semeur éternel.
Poète, avant le jour, loin du toit paternel,
Sans écouter le chien qui gronde,
Pars avec ta charrue et ton rude aiguillon :
Tu sais que le temps presse, et qu’il faut au sillon
Jeter tout l’avenir d’un monde.

Il part ; la plaine immense, au lever du soleil,
N’a pas même un oiseau qui chante le réveil,
Pas même un arbre qui frissonne.
C’est un terrain maudit, dans le vaste univers,
Et, sur les durs cailloux dont les champs sont couverts.
On entend le soc dur qui sonne.

L’air est en feu : midi, sur l’ardent travailleur,
Comme un manteau de plomb, fait tomber sa chaleur.
Mais qu’importe aux tâches divines !
Il marche dans l’espoir, dans la foi, dans l’azur,
Et la sainte sueur qui coule à son front pur
Semble un bandeau de perles fines.