Page:Bouilhet - Œuvres, 1880.djvu/133

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Partout, les vents tiédis emportent dans l’espace
L’âcre senteur de l’herbe et de la terre grasse ;
Un nuage flottant d’arômes inconnus
Sort des bourgeons gonflés et des lobes charnus ;
Sous le poids du soleil tout le feuillage fume !
Un arc-en-ciel géant se courbe dans la brume,
Les sapins monstrueux, de moment en moment,
Sous leur écorce dure ont un tressaillement,
Tandis qu’au pied des monts, la forêt, sur ses voûtes,
Sent tomber lentement la pluie aux grandes gouttes !
Par l’éternelle nuit des ombrages sans fond,
Un murmure s’épand, monotone et profond.
Des arbres effarés les cimes entr’ouvertes
Dans les hauteurs du ciel font des tempêtes vertes !
Et l’orage bondit, en déchirant les airs,
De la houle des bois à la vague des mers !
Les deux immensités dans l’espace étendues,
Ensemble vont roulant leur plainte sous les nues,
Et l’on n’entend au loin, comme deux grands sanglots,
Que le bruit du feuillage avec le bruit des flots !

Le sable cependant, fermente au bord de l’onde,
La nature palpite et va suer un monde.
Déjà, de toutes parts dans les varechs salés
Se traîne le troupeau des oursins étoilés ;
Voici les fleurs d’écaille et les plantes voraces,
Puis tous les êtres mous, aux dures carapaces,
Et les grands polypiers qui, s’accrochant entre eux,
Portent un peuple entier dans leurs feuillages creux.