Page:Bouilhet - Œuvres, 1880.djvu/143

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Dont un rayon de lune ébauche au loin la forme,
Une bête velue, et qui souffle toujours,
Rumine gravement sur ses quatre pieds lourds !
Sa crinière foncée a des touffes profondes
Qui flottent, à son dos, comme de noires ondes ;
Sa tête est formidable ; à chacun des côtés
Tombe une oreille large, en flocons argentés ;
Comme un double croissant, deux défenses d’ivoire,
Du mufle qui s’allonge écartant la peau noire,
Se tordent vers les cieux ; et, pendue en avant,
La trompe monstrueuse oscille dans le vent !
Son gros ventre, fouetté par les herbes humides,
Sous la brise qui passe ondule avec des rides,
Et l’ombre de son corps tremble sur les gazons
Tandis que, se courbant aux vagues horizons,
Le sommet inégal des collines lointaines
Semble un troupeau difforme accroupi dans les plaines !

C’est une nuit tranquille où la nature dort.

Tout à coup, réveillé par quelque vent plus fort,
Le monstre se remue, et roidit, dans la brume,
L’effrayante longueur de sa trompe qui fume,
Puis son cri large et dur, qui traverse les airs,
Se roule, en mugissant, par les vallons déserts !
On entend à ce bruit, dans les glaïeuls sauvages,
Palpiter mollement les vastes marécages,
Où les lézards glacés et les lourds pélicans
Font, sous leur ventre épais, sonner l’eau des étangs !