Page:Bouilhet - Dernières chansons.djvu/15

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son petit-fils le souvenir d’un homme bizarre et charmant, toujours poudré, en culottes courtes, et soignant des tulipes.

L’enfant fut placé à Ingouville, dans un pensionnat, sur le haut de la côte, en vue de la mer ; puis, à douze ans, vint au collège de Rouen, où il remporta dans toutes ses classes presque tous les prix, — bien qu’il ressemblât fort peu à ce qu’on appelle un bon élève, ce terme s’appliquant aux natures médiocres et à une tempérance d’esprit qui était rare dans ce temps-là.

J’ignore quels sont les rêves des collégiens, mais les nôtres étaient superbes d’extravagance, — expansions dernières du romantisme arrivant jusqu’à nous, et qui, comprimées par le milieu provincial, faisaient dans nos cervelles d’étranges bouillonnements. Tandis que les cœurs enthousiastes auraient voulu des amours dramatiques, avec gondoles, masques noirs et grandes dames évanouies dans des chaises de poste au milieu des Calabres, quelques caractères plus sombres (épris d’Armand Carrel, un compatriote) ambitionnaient les fracas de la presse ou de la tribune, la gloire des conspirateurs. Un rhétoricien composa une Apologie de Robespierre, qui, répandue hors du collège, scandalisa un monsieur, si bien qu’un échange de lettres s’en suivit avec proposition de duel, où le monsieur n’eut pas le beau rôle. Je me souviens d’un brave garçon, toujours affublé d’un bonnet rouge ; un autre se pro-