Page:Boukharine - Lénine marxiste.djvu/31

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quels événements seraient les plus favorables à la victoire de la révolution ouvrière. Mais l’honneur d’avoir élaboré dans tous ses détails ce problème capital pour la stratégie et la tactique de la lutte de classe revient à Lénine. La raison en est en partie que Lénine naquit, grandit et milita surtout dans un pays où la question paysanne devait fatalement attirer son attention. Mais il ne se borna pas à constater les faits, il en donna une interprétation extrêmement profonde, englobant les questions théoriques les plus vastes aussi bien que les déductions de la politique pratique. Lénine a été, me semble-t-il, le plus éminent des théoriciens agraires parmi les marxistes. La question agraire est celle à laquelle il a consacré les meilleures pages de ses écrits. Dès le début de son activité consciente d’économiste et de statisticien, il s’occupa de la question agraire, depuis ses aspects les plus abstraits, comme le problème de la « fertilité décroissante du sol », de la rente absolue, jusqu’aux questions purement pratiques qui se groupent toutes sur la ligne des rapports entre la classe ouvrière et les paysans. Je crois que personne n’a tant fait de travaux, ni d’aussi importants, sur la question agraire.

Encore une fois, si nous étions à une autre époque, nous aurions pu nous limiter à l’analyse de la société capitaliste abstraite, où cette survivance du féodalisme qu’est la paysannerie ne joue pas de rôle essentiel et peut être négligée. Mais dès qu’il s’agit de déchiffrer les formules algébriques et de les transformer en formules arithmétiques, on constate que la classe ouvrière a besoin, en période de révolution socialiste, d’un allié qui soit une masse humaine considérable. Ce besoin a conduit à l’analyse de la question agraire. Et la théorie de Lénine sur l’alliance et les rapports de la classe ouvrière et de la paysannerie est une des pierres angulaires de son apport au marxisme. Il est à remarquer que cette théorie s’est élaborée dans la lutte contre les narodniki et le pseudo-marxisme des libéraux. Lénine luttait théoriquement et pratiquement sur deux fronts, et sa lutte s’explique parfaitement au point de vue politique, car il s’agissait de chercher un allié à la classe ouvrière. Pour la classe ouvrière, pour le développement victorieux de la révolution socialiste, il y avait là encore une autre question cardinale, qui devait être comprise théoriquement et pratiquement : celle de l’hégémonie du prolétariat. Il fallait pressentir théoriquement une situation qui permît d’arracher les paysans à l’emprise de la bourgeoisie libérale ou de toute autre fraction de la société autocratique pour en faire les alliés de la classe ouvrière, La principale question politique[1] qui nous séparait des menchéviks et des s.-r. était celle de l’allié du prolétariat.

  1. Consulter à ce sujet, Trois conceptions de la Révolution russe, en appendice au Staline, par Trotsky (éditions Grasset).