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MERLIN L’ENCHANTEUR

enfuis : ils vivaient dans les bois comme des bêtes sauvages.

Un soir, le roi dit à Keu le sénéchal et à un chevalier qui avait nom Bédoyer de se préparer, et tous trois, s’étant mis en mer, arrivèrent sous un rocher, à quelque distance du mont, qu’ils gravirent hardiment. Ils n’y trouvèrent qu’une vieille femme, toute flétrie, qui pleurait et lamentait, assise sur une tombe fraîchement creusée, à côté d’un grand feu, dans la nuit.

— Ha, gentils chevaliers, dit-elle en les voyant, que venez-vous faire ici ? Si le géant vous découvre, il vous faudra mourir. Fuyez !

— Bonne femme, répondit le roi, laisse tes pleurs et dis-nous qui tu es et quelle est cette tombe.

— C’est celle d’une gente pucelle, Élaine, la fille de Lionel de Nantoël ; je l’allaitai de mes mamelles. Le géant nous a prises et il a emporté ma chère fille dans son repaire pour la violer ; mais elle était si jeune et si tendre qu’elle n’a pu supporter sa vue et qu’elle est morte d’horreur entre ses bras. Quand elle eut ainsi expiré, ce diable me garda pour éteindre sa luxure sur moi, et il m’a tant corrompue qu’il me faut souffrir sa volonté en dépit de moi-même ; mais Notre Sire m’est garant que c’est contre mon gré. Fuyez ! à cette heure le géant est sur le mont, là-bas, où vous voyez flamboyer un bûcher. S’il vient ici, vous êtes morts !