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LE CHEVALIER À LA CHARRETTE

tête, plaça son écu derrière son dos pour n’en être pas empêché et, s’étant signé au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, il se mit à cheval sur le pont acéré et commença de ramper au-dessus du tranchant de l’épée à la force des bras et des genoux ; et vous auriez vu le sang jaillir de ses mains, de ses pieds et de ses jambes ; mais il avançait, les yeux fixés sur la tour, sans regarder la lame coupante ni l’eau bruissante et félonne, songeant qu’à celui qu’amour mène, souffrir lui est doux. Enfin il parvint à l’autre bord et s’y assit pour se reposer un moment, après avoir tiré son épée et ramené son écu devant lui.

Tous les habitants de la tour s’étaient mis aux fenêtres pour voir le champion qui traversait le pont périlleux, et comme eux la reine Guenièvre et le roi Baudemagu. Dans le moment que le chevalier parvint à la rive, elle songea que ce ne pouvait être que Lancelot et aussitôt, elle qui avait été jusque-là très dolente, elle se mit à rire, à plaisanter, à faire beau visage, si bien que le roi Baudemagu en fut surpris.

— Dame, lui dit-il, si vous permettiez, je vous poserais une question qui ne saurait vous désobliger. Savez-vous quel est ce chevalier, là-bas ? Est-ce Lancelot ? Le croyez-vous ?

— Sire, il y a plus d’un an que je n’ai point vu Lancelot, et beaucoup de gens pensent qu’il est mort. À cause de cela, je ne suis pas cer-